Préface de Christophe BARBIER

Des Hameaux et des Hommes Préface du livre "Des Hameaux et des Hommes".

A Paris, on croit que la montagne, c'est des rochers et de la glace...

A Paris, on croit que la montagne, c'est des rochers et de la glace, alors que la montagne, c'est des gens. Ils sont tous là, sous la plume de Christine Barbier, authentiques et rudes, la peau parfois ciselée comme du schiste par l'air et le soleil, le caractère souvent dur comme du granit, parce que c'est ainsi qu'on les fait par ici. Ils sont tous là, accrochés à leurs montagnes, qui pour la passion de l'élevage, qui par amour du vent, qui parce que les anciens en faisaient autant et qu'il n'y a pas de vraie raison de changer. Ces hommes et ces femmes, habitants des cimes et des vallées, Christine a su les faire parler, eux si facilement mutiques. Comme un sourcier fait jaillir l'eau des terrains les plus secs, elle arrive à faire suinter la confidence, à obtenir un petit filet de mots dont elle irrigue ses articles. Et dans ses pages, soudain, ils s'animent tous, ces montagnards de val ou d'alpage, cœurs battants des paysages.

A Paris, on croit que la montagne, c'est de la neige et du vent, alors que la montagne, c'est de la liberté. Dans les textes de Christine souffle le grand vent des pentes, celui qui parle d'orage ou de neige, qui trimbale des bruits de clarines et de torrents. En ces contrées, il y a toujours un chemin qui vous emmène loin des hommes et vous tient la main jusqu'à vous enivrer de solitude; il y a toujours un lac immobile, comme ceux, joyaux cachés, de Jovet, où les pointes se mirent et dessinent des w sur le glacis de l'eau; il y a toujours un sous-bois qu'un chant d'oiseau suspend hors du temps. Parce que la nature s'impose, domine, effraie parfois, elle aide à oublier la condition humaine. Ici, l'on est éphémère, tandis que tout, autour de soi, est éternel. Alors s'élève le sentiment précieux de la suprême liberté, qu'offre l'humilité.

A Paris, on croit que la montagne, c'est de la terre et du ciel, alors que la montagne, c'est des légendes. Un dragon croqueur de bergers, un tumulus mystérieux, une pierre miraculeuse... Est-ce l'air qui est trop vif? Est-ce l'altitude qui joue des tours? Est-ce la nuit facétieuse, dont les bruits font trembler, qui agite les esprits? Dans les montagnes, l'imagination est fertile... Elle crée des monstres bien utiles pour que les enfants finissent leur soupe, des entourloupes à touristes qui les poussent à vider des chopes, du petit bois de mots à flamber lors des longues veillées d'hiver.

Au flanc des montagnes, on voit, l'été, dans la chaleur qui embue les prés, les troupeaux minuscules s'agglutiner ou s'étirer. Sur la page, les mots de Christine font de même, chamois agiles ou moutons placides, et nous entraînent, sautillants, à la découverte de ces vallées que l'on aime parce qu'elles sont les plus belles du monde.

Christophe Barbier

Directeur de la rédaction de l’Express.